On dit que les voies du seigneur sont impénétrables. S’il existe des secrets protégés, celui de la fabrication de la Chartreuse par les pères Chartreux est l’un des plus confidentiels. On peut même dire qu’il est religieusement gardé. Essayons néanmoins d’en percer le mystère en balayant son histoire.
Tout commence non pas à Voiron, mais à Paris en 1257 au château de Robert le Pieux ou le Roi Saint Louis installe les chartreux. Ce lieu deviendra la « Chartreuse de Vauvert », située en face du Palais du Luxembourg. Ce manoir possédant un immense jardin, les ecclésiastiques, aux mains déjà vertes, vont cultiver, planter, cueillir, et feront commerce dans toute l’Europe de la récolte de leur verger de 17000 pieds. Aujourd’hui encore des cours de taille des arbres sont dispensés selon les techniques ancestrales des chartreux, au sein de ce qui devint les jardins du Luxembourg. Ainsi leur maitrise des plantes et leur connaissance pharmacopée importante, conduit le maréchal Destrée à leur confier, en 1605, le grimoire détenant la fameuse recette. C’est l’élixir végétal, protégé de la lumière par son étui en bois, qui sera crée au départ comme solution médicinale et alcool curatif.
Au 18ème siècle, on assiste à un développement de la gastronomie et des eaux de vie plus sucrées. Passant du remède à la douceur, les Chartreux transforment leur élixir, et, avec ajout de sucre, mettent au point la Chartreuse verte. Non dépourvus de sens mercantile, ils enchaineront alors les créations de liqueurs. En 1838 par exemple, la Reine des liqueurs, chartreuse jaune, plus douce, voit le jour afin de plaire à la cible féminine.
Chassés de France en 1903, ils s’exilent en Espagne, à Tarragone, dans un monastère chartreux déjà existant. Ils continueront depuis cet asile à produire élixir, verte et jaune. Ils reviendront en 1929 tout d’abord à Fourvoirie, et seront contraints, suite à un éboulement, d’abandonner la distillerie et s’installer à Voiron. Jusqu’en 1989 ils conserveront les 2 distilleries : Tarragone et Voiron, puis à sa fermeture, rapatrieront les invendus de Tarragone.
Commerçants dans l’âme, ils ont l’idée alors de faire déguster ces vestiges espagnols aux chefs Alain Chapel, Paul Bocuse et Fernand Point. Encore aujourd’hui d’ailleurs le restaurant La Pyramide à Vienne, crée par ce dernier, posséderait la plus belle collection de Chartreuse de Tarragone. En 10 ans, la liqueur est tellement plébiscitée, que les stocks ibériques sont épuisés !
L’Ordre des Chartreux poursuivra donc au monastère de la Grande Chartreuse, en Isère et dans les foudres des caves de Voiron, la production du précieux liquide. Chaque nouvelle cuvée sera le résultat d’un évènement. La « VEP », en 1963, pour la nomination de la Reine d’Angleterre Elisabeth. La « 1605 », crée en 2005, pour les 400 ans de la chartreuse. La « Tarragone du siècle », en 2006, mise au point par Olivier Poussié, meilleur sommelier du monde, en assemblant les meilleures Tarragone jaune encore existantes. Le prix de cette dernière et la quantité de flacons rassemblés ne sont pas le fruit du hasard : 1605 €uros, et 512 bouteilles comme l’année de création de l’Ordre. Enfin, la MOF, en 2009, pour le 1er concours de Meilleur Ouvrier de France Sommelier à Thonon les bains.
Et pourtant toutes ces variétés sont toujours à base des 130 même plantes, provenant, contrairement aux croyances locales, du monde entier. Même si un nez parfumeur arrivait à déceler la verveine, la mélisse, la vanille, le safran, le secret est toujours uniquement détenu par 2 pères Chartreux. D’ailleurs les factures des fournisseurs de plantes qui arrivent aux caves sont totalement anonymes pour conserver le mystère!
L’énigme autour de la recette de la Chartreuse est donc soigneusement protégée. D’autant plus que les chartreux ont fait vœux de silence. Ainsi la plus ancienne liqueur au monde dont la compléxité et la longévité est unique, et que les américains aujourd’hui distillent dans tous leurs cocktails, a encore un bel avenir devant elle.
LA CHARTREUSE
NON ! LES CHARTREUSES*
Certes elle est verte, mais quelles sont les différences entre chaque ?
- La Chartreuse Verte : chartreuse classique. Vieillissement de 2 ans. Aura 250 ans en 2014 !
- La Chartreuse Jaune : Parfum de fleurs, miel et épices. Vieillissement de 2 ans.
- La VEP verte ou jaune (Vieillissement Exceptionnellement Prolongé) : vieillissement prolongé de la verte ou de la jaune entre 8 et 10 ans en foudres. Harmonie parfaite entre l’alcool et les plantes. Millésime toujours précisé sur les étiquettes.
- La Tarragone : mythique car introuvable !
- La 1605 : produit le plus proche de la recette d’origine. Moins sucré. Puissance de l’alcool et très végétal.
- La MOF : Jaune, très douce, féminine. Vanillée, épicée, capiteuse, flatteuse.
- La Reine des liqueurs : Jaune, équilibrée, beaucoup de fraicheur, désaltérante, parfums d’agrumes.
- La 9ème centenaire : crée en 1984, commémore, la fondation de la Grande Chartreuse en 1084. Même caractéristiques que la verte mais un peu plus douce.
QUELQUES CONSEILS DE DEGUSTATION
- Lorsque la Chartreuse est jeune, n’hésitez pas à la mettre quelques heures au congélateur. Elle deviendra plus sirupeuse, moins agressive en alcool .Juste la quintessence des parfums !
- Lorsque la Chartreuse est plus ancienne, elle se conserve à 15/16°. Pensez alors juste à la shaker avec quelques glaçons puis la siroter immédiatement.
*L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A boire avec modération.
Sources : Caves de Chartreuse à Voiron. Bruno Bozzer, cave et dégustation « La java des flacons » à Annecy le Vieux. Photos Aurélie Jeannette.
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